Conditions corporelles
Nous sommes toutes des sacs de peaux contenants graisses, os, tendons, muscles et viscères.
On pourrait croire que certains corps biologiques prennent des formes valorisées par le corps social. Mais en fait c’est l’inverse qui se produit, le corps biologique est façonné par son environnement, par les faits sociaux qui le marquent d’une certaine manière ou d’une autre. Le miens comme celui de chacune est construite d’une certaine façon depuis mon enfance. Malgré qu’il ne m’ai pas si mal servi jusque ici je me rends compte aujourd’hui à quel point il me gène, m’emmerde, me dégoûte…
N’y voyez pas là la trace d’une éventuelle pathologie psychiatrique, il n’est nullement question de « dysphorie » comme se plaît à décrire le corps soignant. Non, mon mal-être ne vient pas de mon fort intérieur, d’une faiblesse qu’on pourrait guérir. Je ne suis pas l’incarnation physique d’une maladie mentale mais bel et bien le résultat affligeant d’un fonctionnement social.
Je galère avec mon corps car je suis celle que vous nommez tour à tour, la pédale, la butch, le travesti, la tarlouze, la folle, la gouine, l’efféminé, la maigre, le fou, la femme à bite, l’homme à seins, la tordue… C’est bien le carcan social qui meurtri ma chair et rends le regard sur mon propre corps si difficile.
J’aimerai fuir les représentations, les manières normalisées de montrer les corps. C’est devenu si dur de prendre part à la mise en scène générale des jeux de rôles admis pour monsieur et madame. Je ne peux plus voir mon sexe bander sans crever d’une crise de virilité aigüe, mes fesses bien rondes attachées à mon bassin étroit, ma taille trop large, mes petits seins durcis, mes immenses épaules sans me sentir travestie. Mon corps difforme n’est plus que monstruosités, déviances vis à vis de vos normes.
Seul espoir, la relation avec d’autres personnes non cisgenres. Malgré toute la difficulté, affronter le regard de l’autre, vaincre mes peurs, me sentir légitime, m’autoriser à m’éprendre, donner ma confiance… Trouver ma place dans le regard de l’autre, dans l’espace à portée de sa main ou collée à ses reins.